L'oignon et la carotte

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  • Les Caprices du Destin 00:00

« Sortez moi de la. Il fait beaucoup trop froid. Je n’ai rien à faire ici. »

Chaque fois que la porte s’ouvrait, il se tortillait comme il pouvait pour attirer l’attention. Il n’était pas fait pour vivre dans un frigidaire. Même s’il était doté de nombreuses couches, son habitat naturel était plutôt la température ambiante.

« A la prochaine ouverture, je vais rouler jusqu’à l’avant et je vais essayer de tomber par terre. »

Il n’eut pas besoin de se donner ce mal, car la main qui ouvrait le frigo le saisit lui avec plusieurs autres ingrédients.

« Ouf, me voilà dehors. Ça va déjà tout de suite mieux. Voyons qui va m’accompagner dans la préparation. »

Il put découvrir sur le plan le travail plusieurs de ses amis. Quatre tomates lui souriaient et attendaient d’être épluchées. Une gousse d’ail, du persil frais qui se plaignait d’être encore attaché par un élastique et Monsieur Sel et Madame Poivre main dans la main en première ligne. Plus loin, un peu l’écart, une jeune carotte avait l’air un peu inquiète et regardait autour d’elle sans comprendre l’excitation générale.

« T’inquiètes poupée , lui dit-il d’un air très cool, nous allons faire partie de la fête. On va te faire propre et belle, te couper en petits morceaux et te faire cuire. Dit comme ça, je comprends que ça fait peur. Mais nous sommes ici pour terminer en bon plat et réjouir ces humains.

Parce que le pire qui puisse nous arriver, c’est de moisir dans un coin du frigidaire.

« Et ça ne fait pas mal d’être coupée en petits morceaux ? »

« Mais, non tu ne sens plus rien depuis que l’on t’a arrachée à la base de ta plante. »

« Et quand on va me cuire ? Je ne vais pas brûler ? »

« Au contraire, tu verras, ça va sentir bon autour de toi et tu vas prendre un plaisir. »

« Mais comment tu peux savoir ? Tu n’as jamais été préparé avant puisque tu es encore entier. » Mais j’ai écouté les bruits de couloir des derniers jours. Chaque préparation est une œuvre culinaire. »

Il dut s’arrêter de parler, car la main le prit et commença à l’éplucher soigneusement.

« Ne me regarde pas, je vais être tout nu. »

Mais à peine avait-il dit ces mots qu’il fut coupé en petits morceaux.

À côté, l’huile dans la poile chauffait déjà.

« Eh l’oignon, tu m’entends ? »

« Bien sûr, mais chuuut, là vient le moment le plus important, je vais me jeter dans l’huile chaude et je vais donner une odeur à toute la cuisine. Je te laisse ma belle. À plus tard dans la poêle. »

Et il plongea dans la piscine d’huile chaude et comme il l’avait prévu, très vite toute la cuisine embaumait.

Puis ce fut au tour de la jeune rousse. Bien lavée, elle fut découpée en petits morceaux et poussée dans la poêle. Il était tout content que sa nouvelle amie le rejoigne. Il en sautillait de joie. Le fait de se mélanger à elle lui procura une sensation érotique intense et il lui semblait qu’elle appréciait elle aussi. Puis vint la gousse d’ail.
Il ne l’aimait pas trop la gousse, car elle était en concurrence avec lui. Mais cette fois, comme on l’avait laissée entière, il n’y a avait pas trop de risque. Son odeur à lui prendrait tout le dessus. Le persil vint se joindre à eux. Élégant joyeux. Il était agréable d’avoir un brin de fraîcheur dans la poêlée.

Ce ne fut qu’après une bonne dizaine de minutes que les tomates les rejoignirent. Il eut un bruit d’éclaboussure, car les demoiselles contenaient beaucoup d’eau et l’huile était déjà bien chaude. L’on entendit des « oh et « ah » et tout le monde applaudissait heureux de faire partie du spectacle.

« Il manque Mr et Mme Sel et Poivre ! Sans eux, la recette sera gâchée. Il faut faire quelque chose », s’écria l’oignon bruni.
« Ne t’en fais pas ; ils viendront pour le bouquet final. » Le rassura la gousse.
Ah, il ne l’aimait vraiment pas celle-là. Il fallait toujours qu’elle sache tout mieux que les autres.

Mais, sur ce coup-là, elle avait raison.

La performance dura une bonne heure et chacun fit parfaitement bien son travail.
À la toute fin, juste avant d’être enlevé du feu, le couple sacré vint mettre leur grain. Tout était impeccable.

L’oignon, la carotte et leurs amis n’avaient à présent plus qu’une seule pensée : recevoir les compliments de la bouche qui les engloutiraient. Ils étaient fiers d’eux et allaient faire plusieurs satisfaits. Leur travail était terminé.
Et juste avant d’être mélangé aux pâtes qui les attendaient avec impatience, l’oignon fit un dernier clin d’oeil à la carotte et lui envoya un baiser rempli d’amour. 

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