Le Sud n’aime pas les anges

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  • Le Sud n’aime pas les anges 00:00

Le klaxon de ma vieille camionnette bétaillère Théault se mêlait à la musique cacophonique de l’embouteillage. L’accident avait eu lieu de l’autre côté, mais les badauds friands de spectacle provoquaient le ralentissement habituel. Certains conducteurs étaient sortis de leurs voitures pour mieux apprécier la gravité des dégâts. À l’arrêt, la température à l’intérieur de la camionnette devenait désagréable. Entre sirènes de police, sifflements d’ambulance, klaxons aux sons divers et le piétinement de mes chevaux à l’arrière de mon petit camion, la tête me bourdonnait. Nous étions pourtant si près de la sortie de l’autoroute. Huit heures à rouler sans ralentissement et là, à seulement vingt kilomètres de l’arrivée, plus rien n’avançait.

Je touchai le petit ange en porcelaine que ma fille m’avait offert un mois plus tôt pour mon quarante-quatrième anniversaire. Il était accroché au rétroviseur et n’étant plus balancé par le mouvement de la camionnette, il semblait me regarder droit dans les yeux.

Allez, un petit miracle. Juste un. Pour nous sortir de là. Ensuite je te laisse tranquille. Après tout, c’est toi qui nous as fait venir ici. Enfin un peu. Je fermai les yeux un court moment
pour communiquer à l’univers et à mon ange gardien.

La réponse fut immédiate. Une lumière bleue fendit le ciel crépusculaire. La sirène d’ambulance se rapprocha puis s’éloigna. Elle ne fut bientôt plus qu’un écho lointain, le brouhaha se mua très lentement en bruit de moteur, en portières qui claquent et la chenille se mit en mouvement. Merci mon ange. Je le regardai reprendre son mouvement de balançoire en se tournant vers la route.

—Tu crois vraiment que c’est ton ange qui a débloqué le bouchon ? Ma jeune fille Chiara, recroquevillée sur le siège passager, venait de se réveiller. Je lui souris en lui faisant un clin d’œil.

—Oui, car c’est lui qui est venu me chuchoter à l’oreille une nuit. Il m’a rappelé le rêve que j’avais depuis toujours. Celui d’avoir une belle maison dans une belle région du sud de la France. D’y élever nos chevaux, nos chiens et nos chats et de sauver des animaux maltraités. Et là, il nous aide à avancer. 

—Moi aussi j’ai un ange gardien ? 

—Nous avons tous notre ange. 

—Je n’ai jamais vu le mien. 

—Il faut être au calme. Le soir, par exemple, avant de t’endormir. Tu fermes les yeux et tu essaies de le sentir. 

—Et il est comment ton ange, maman ? 

—Il est bienveillant ! 

—Ça veut dire quoi ? 

—Qu’il me veut du bien. Qu’il est gentil. Nous avons besoin de gentillesse dans ce monde. J’aimerais bien le rencontrer.

—Il est comme Dieu alors ? 

—Lui aussi j’aimerais bien le rencontrer. Hahaha. Je préfère imaginer que chacun a son ange gardien, plutôt que le monde entier ait un seul Dieu. Regarde ! Le panneau de sortie. C’est là que nous allons. Les deux princesses et leurs jolis chevaux vont au bois enchanté, dans leur nouveau château, pour commencer leur conte de fées.

Extrait de la page 13

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  • Le Sud n’aime pas les anges, page 13 00:00

Les églises contiennent toutes les histoires de tant de gens. De souffrance et de bonheur. Tout est imprégné dans les murs, dans les meubles, dans l’air qui s’arrête au vitraux illuminés du dehors. Et puis ces fameux anges qui entendent tout.
Certaines bâtisses sont aussi remplies d’autres mêmes histoires. De celles que l’on ne peut pas nommer tellement elles puent la souffrance et la cruauté humaine. Des hurlements de peur, des souffles saccadés à l’attente de l’abattage. Les murs alors hurlent plus fort dans l’espoir d’être entendus et de mettre un terme à la barbarie et la haine.
Pour arrêter le bruit harassant et la culpabilité de notre impuissance, il est alors impératif de retrouver le sentier qui nous mène vers notre havre de paix.

Extrait de la page 30

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  • Le Sud n’aime pas les anges, page 30 00:00

Par surprise, mes mains retrouvaient le goût des caresses. De mendiante, je devins déesse. Le chemin, à présent, était ensoleillé. Mon errance cessait. Le souffle lent, je pouvais enfin regarder. Le souffle d’un autre, j’entendais. Et par surprise, la porte sacrée s’ouvrait. Sans bagage, en passager, peut-être juste un bref instant, j’entrerais avec l’inconnu aux yeux jaunes et au cœur abîmé. Je l’entraînerais vers la lumière rose du palais aux parois peintes d’éclats d’or et de lumière.

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