Les Caprices Du Destin​

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Jeanne allait bientôt fêter ses quarante-quatre ans. Sa vie jusque-là avait été sans éclats et souvent douloureuse. Le chiffre quatre ne lui été pas de bon augure et elle avait le sentiment que quelque chose d’extra-ordinaire allait arriver le jour de l’alliance des deux quatre. Croyant aux signes du destin, elle passait de longs moments à les analyser. Dans le parc où elle allait chaque jour, de nombreux détails attiraient son attention. Les feuilles qui tombaient des arbres d’une manière particulière, un homme qui faisait un signe d’adieu de loin, l’eau du ruisseau qui sortait de son lit pour prendre un nouveau chemin à travers le petit bois.
Elle était convaincue que le destin lui réservait un sort spectaculaire et rien que d’y penser lui donnait une forte montée d’adrénaline.
Elle n’avait pas peur de la mort. Elle la voyait comme une suite logique, une autre dimension, une réalité différente, le monde de ses rêves endormis. Un ailleurs sans méchanceté, sans jugements, où l’on pourrait vivre en paix avec la nature et les autres vivants, aimer un homme, peut-être, en toute simplicité.
Elle s’imaginait souvent mourir, partir là-bas, mais la peur de souffrir la retenait sur terre.

Un après-midi, quelques jours avant son anniversaire, assise sur son banc préféré du parc, un homme soudain était apparu à côté d’elle, sans qu’elle ne l’ait vu arriver. Il était très beau, trop beau, presque parfait. Les yeux vert clair les cheveux noirs, d’une élégance inhabituelle. Il lui souriait et elle en était gênée. Il était rare que de beaux hommes s’intéressent à elle.

Il s’approcha simplement et dit d’une voix suave, lente et presque inaudible, comme un souffle :

« Je m’appelle Jean De Stin ».

Son sang ne fit pas qu’un tour, mais mille tours et l’adrénaline la rendit muette.

Il eut un petit rire qui sonnait faux, comme s’il était mal à l’aise.
« Ne vous inquiétez pas, votre paralysie momentanée est normale et humaine. On ne rencontre pas tous les jours son destin. »

L’expression de ses yeux la fascinait. Elle regardait autour d’elle pour revenir à la réalité de la nature qui l’entourait, pour se rassurer qu’elle ne rêvait pas.

Il lui dit :
« Je suis agréablement surpris que vous ayez remarqué mes signes. Peu de gens en font cas. Vous avez une sensibilité hors du commun et cela me touche beaucoup. C’est pour cette raison que je vais vous faire une proposition particulière ».

Elle eut des frissons dans le dos, mais réussit à se ressaisir pour lui demander :
« Est-ce que je vais mourir? »

Il sourit à nouveau.
« Je ne peux pas changer les dates, je peux juste remanier certaines choses.
Je peux vous aider à partir sans souffrances ».

Elle resta un moment consternée. Elle ne comprenait pas ce qui se passait. Qui était-il ? Que voulait-il vraiment ? Était-ce un brigand, un voleur de cœur, un fou dans un parc ?
«Mais quel est votre intérêt ?» réussit-elle à balbutier.

Il se mit rire à nouveau. Un rire presque cynique.
« C’est tellement humain ce que vous dites. Les hommes ne raisonnent que par intérêt. Qu’en est-il de l’empathie, de la générosité, d’un simple coup de main gratuit ?
Voici ma proposition : vous mourrez le soir de vos quarante-quatre ans d’une mort rapide, un arrêt cardiaque foudroyant. Sans douleur. Vous partirez dans l’au-delà. Je m’emparerai de votre âme et la replacerai dans un autre corps. Nous ne nous reverrons plus après ».

Il la regardait avec des yeux enjôleurs sans parler. Était-ce le destin ou le diable ? Elle ferma les yeux un instant à peine, le temps d’un battement.
Il avait disparu, sans geste, ni bruit, ni souffle de vent.

Les idées et les images tournoyaient dans sa tête. Tout était confus. Elle rentra chez elle comme ivre. Elle alla se coucher immédiatement.

À son réveil, il était assis au bord de son lit et la regardait presque amoureusement. Elle sursautait, mais il émanait un tel calme de lui, qu’elle fut très vite apaisée.

« Vous êtes donc réel ? Je pensais avoir rêvé notre rencontre. »

Il tendit la main. Elle tendit la sienne. Il était bien en chair et en os.
Mais pourquoi cet homme s’intéressait-il à elle ? Elle n’était pas belle, ni même jolie. Charmante tout au plus.
Il lui répondit avant même qu’elle lui pose la question.

« Je vous l’ai dit, vous m’avez touché. Et vous n’êtes pas laide comme vous le pensez. »
Il sortit un miroir de sa veste.
«Mais ce n’est pas moi !» dit-elle surprise.

« Voilà comment moi je vous vois. La beauté extérieure n’a pas d’importance. Je vois surtout la beauté intérieure ».

Les prochains jours furent un mélange d’adrénaline, d’attente intense et de moments étrangement agréables. Il venait chaque soir et ils passaient de nombreuses heures à parler de la vie, de la philosophie, des êtres humains, des sentiments, du chagrin, du deuil et de la mort.
Alors qu’elle se préparait à quitter ce monde, ils devenaient amis.

Arriva le soir de son anniversaire. Elle avait fait une petite fête. Une manière de dire au revoir.
Vers minuit elle s’assit dans le salon et l’attendit.
Les heures passaient et rien n’arriva. De longues heures le cœur battant à attendre que son cœur s’emballe pour s’éteindre brusquement. Elle pensait qu’il fallait qu’elle s’endorme pour mourir sans souffrances. Elle partit se coucher et après avoir tous les moutons, revu tous les moments importants de sa vie, elle finit par sombrer enfin dans le sommeil.

Le lendemain matin, elle se réveilla. Une lettre posée sur son lit disait :

Je n’ai pas pu respecter notre accord. Il m’est impossible de vous laisser mourir, car morte je ne pourrai plus jamais vous revoir.
Je vous aime.
Jean.

Ses émotions ressemblaient à un feu d’artifice entre la colère, le soulagement, la déception, l’euphorie, l’incompréhension.

Jean de Stin l’aimait.
Mais il l’avait trahie. Il n’avait pas respecté leur accord.

Où s’était-elle trahie elle-même en inventant cette rencontre ?

Le portable sonna. Un message de sa meilleure amie :

Bon anniversaire! Rendez au restaurant IL FAIT BON VIVRE pour déjeuner et souffler les bougies!

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